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Roger Nougaret [1] , responsable du département et Anna Grimault [2], son adjointe nous exposent la genèse, le contexte, les objectifs et les modalités de mise en œuvre de ce projet qui doit être finalisé fin 2011.

L&Co : Pouvez-vous nous présenter le département Archives et Histoire du groupe BNP Paribas qui est à l’initiative de ce projet ?

Roger Nougaret : Depuis janvier 2011, je suis responsable de ce département qui comprend dix collaborateurs. On m’a confié la mission  de mettre en place un service d’archives pour l’ensemble du groupe BNP Paribas et de valoriser ainsi son histoire dans toutes ses composantes. C’est un objectif très important qui découle d’une part d’une prise de conscience que des destructions d’archives malencontreuses ont pu porter préjudice au groupe en matière d’image et d’autre part de la  nouvelle dimension internationale prise par le Groupe avec de multiples composantes, fruit d’acquisitions et de fusions multiples. Dans l’histoire de la création des services d’archives au sein des établissements bancaires un premier tir groupé s’est produit au début des années 1990 puis un deuxième à la fin des années 1990 dans le contexte de la mission Mattéoli sur la spoliation des juifs de France de 1940 à 1944. Depuis plusieurs décennies, BNP PARIBAS et ses principales filiales (BNP Paribas Fortis en Belgique, BNL[3] en Italie) ont été pionnières dans le domaine de la conservation des archives et de leur exploitation historique, et se sont progressivement organisées pour faire face au défi qui se présentait à elles dans ce domaine. Il s’agissait là, en effet, de satisfaire à la double nécessité de protéger le patrimoine et la mémoire d’un ensemble de banques au passé particulièrement riche, par leur rôle central dans le développement économique et industriel de la France, dès le XIXe siècle, et d’encourager la recherche historique, elle-même en plein essor. La banque répondait ainsi à la demande croissante des chercheurs et universitaires, français et étrangers, comme d’un public plus large, intéressé au sujet.

L&Co : Pouvez-vous nous décrire le contexte du développement d’un outil collaboratif historique ?

La nouvelle dimension prise par le Groupe, notamment depuis l’intégration de Fortis en 2009-2010, exige de développer une politique de communication interne et externe à la mesure de l’ampleur et de la diversité du Groupe. Dans le domaine historique, nous avons l’ambition nouvelle et inédite dans le secteur bancaire en France, de bâtir un réseau Archives et Histoire à l’échelle mondiale autour de 3 pôles professionnalisés : Paris, Bruxelles et Rome.

« Un vrai challenge d’intégration et de compréhension mutuelle interne »

Le projet d’outil collaboratif historique s’inscrit dans cette démarche de respect des cultures d’origine afin de prendre le meilleur de chaque composante et de valoriser l’ensemble des compétences, un formidable capital à partager. Mais il faut aussi prendre en considération le temps nécessaire à l’assimilation des connaissances des différentes composantes du groupe, ce qui représente un vrai challenge d’intégration et de compréhension mutuelle interne pour lequel l’histoire a un rôle à jouer.

L&Co : Avez-vous pu apprécier des différences de cultures en matière d’archives au sein des différentes composantes du groupe BNP Paribas?

Roger Nougaret : C’est un groupe multinational qui a des entités possédant une vraie tradition archivistique (par ex : BNL en Italie et BNP Paribas Fortis en Belgique) assurée par trois structures professionnalisées sur lesquelles le groupe se repose en matière de gestion des archives. Il était inconcevable de centraliser les archives au siège à Paris mais il s’agit plutôt de privilégier une logique de fonctionnement en réseau, sous l’égide de la direction Marque, Communication et Qualité, avec Paris à sa tête pour donner l’impulsion en matière de politique générale et en laissant le soin à chacun de s’organiser comme il l’entend. Par exemple, au sein de BNP Paribas Fortis en Belgique, il existe un système original et efficace. Il repose sur la délégation de la gestion des archives historiques à une association spécialisée (avec 2 historiens archivistes mis à disposition de la banque de manière contractuelle par l’association pour travailler sur la collecte, le traitement et la mise en valeur de ces archives) dans le respect des normes internationales et sous la supervision des Archives du Royaume de Belgique.

L&Co : En France, quel rôle joue l’Association pour l’histoire de BNP Paribas ?

Roger Nougaret : Cette association a, dans le passé, assuré la continuité après la suppression en 1994 d’un service d’archives historiques à Paribas. Elle a pour missions d’encourager la recherche historique et la publication d’ouvrages ou d’articles relatifs à l’histoire de la banque ; d’accueillir les historiens et étudiants et les orienter dans leurs recherches (en revanche les archives sont consultées dans les locaux du service Archive et Histoire) ; de regrouper tous ceux qui s’intéressent à l’histoire du groupe ; et d’utiliser le patrimoine comme vecteur de réflexion et de communication interne et externe. Ses fonds sont constitués d’archives orales, d’archives privées d’anciens dirigeants, de dossiers documentaires sur des personnalités, d’une bibliothèque historique et de documents iconographiques. Cette association permet également de maintenir le lien avec d’anciens collaborateurs, ce qui contribue au capital mémoire de BNP Paribas. Elle fonctionne avec une salariée mise à disposition par la banque et des bénévoles.

L&Co : Comment assurer la cohérence de la valorisation des archives du groupe BNP Paribas ?

Roger Nougaret : Aborder l’histoire du groupe BNP Paribas est aujourd’hui complexe du fait de ses nombreuses composantes qui ont besoin de se connaître et qui recèlent un capital historique très important du fait de la richesse de l’histoire de chacune d’entre elles et de tous les métiers qui y sont exercés. Il est indispensable de capitaliser sur leurs richesses parce qu’on ne peut pas tout attendre du département Archives et Histoire.

« Une approche déstructurée par lieu, par métier, par personne, par filiale»

Aujourd’hui l’enjeu est de développer un réseau de personnes-relais qui ne sont pas professionnels des archives, en raison du manque de budget pour créer des postes spécifiques, mais à qui il est souhaitable et possible d’apporter des outils permettant :

  • d’assurer la description archivistique minimum via un logiciel commun respectant les normes internationales et prenant en compte les quatre langues officielles du groupe ;
  • d’échanger via une plate-forme préexistante et créée par la direction de la communication, en l’adaptant afin de créer une communauté, regroupant toutes les personnes de la sphère Archives et Histoire dans tout le périmètre international du groupe, soit une trentaine de personnes au démarrage du projet ;
  • de partager des connaissances dans le champ de la culture d’entreprise – en utilisant un wikipedia modéré par le département Archives et Histoire dans un souci de lisibilité et de fiabilité, à la manière d’un dictionnaire collectif historique – dans une approche déstructurée de recherche d’information par lieu, par métier, par personne et par filiale.

L&Co : Quelles sont les raisons du choix d’un outil collaboratif historique ?

Roger Nougaret : Le département Archives et Histoire s’est fait le relais d’une demande forte de faire connaître la culture du groupe BNP Paribas. Le format livre ne permet pas aisément et rapidement de distiller cette culture à tout le monde et n’est pas adapté à l’évolution rapide de l’entreprise. Alors qu’un outil collaboratif en ligne autorise des points d’approche plus faciles et diversifiés (ainsi, par ex., les syndicats pourront aborder l’histoire des conflits sociaux dans le groupe…). Il permet de mettre à disposition les connaissances dès qu’elles sont disponibles, sans attendre une hypothétique publication de livre. Il permet enfin d’aborder tous les aspects métiers et notamment ceux dont on ne parle pas ou plus. Raconter l’histoire des fonctions ou des métiers donne du sens au travail des collaborateurs et leur permet de se situer dans la chaîne historique qui a abouti à ce qu’est aujourd’hui BNP Paribas.

« L’histoire de la banque contribue à la valeur de la marque »

En agrégeant plusieurs entités de pays différents, le capital « connaissances » du groupe BNP Paribas s’enrichit également de métiers plus ou moins nouveaux (ex : assurances, factoring, crédit à la consommation…) qui ont eux-mêmes leur propre histoire (ex : conditions d’ouverture de succursales en Chine il y a 150 ans…). Le capital « patrimoine immobilier » est également valorisé de par la richesse architecturale des immeubles historiques dans les différents pays des entités du groupe BNP Paribas. Cet outil collaboratif sera utile au groupe essentiellement dans une optique interne mais pourra aussi contribuer à des opérations de communication externe, en nourrissant le contenu d’expositions ouvertes au public, afin par exemple d’afficher la contribution des banques comme actrices du financement de l’économie. Aujourd’hui la problématique de la marque devient importante et l’histoire de la banque contribue à la valeur de celle-ci, dans une période où l’image des banques en général a été sérieusement écornée. L’important est de disposer d’outils de diffusion de la culture du groupe BNP Paribas. En effet, dans les publications écrites, les informations sont figées et vite dépassées. Notre directeur de la communication est très sensible aux nouvelles technologies et aux réseaux sociaux, ce qui a facilité le développement d’outils de type web 2.0 au sein du groupe BNP Paribas.

L&Co : Quelles sont les modalités de mise en œuvre du projet ?

Roger Nougaret et Anna Grimault : Deux personnes du département Archives et Histoire constituent l’équipe projet avec la collaboration de deux correspondants de l’équipe Knowledge Management. Une première étape a consisté à analyser les outils existants en interne (comme par exemple une plateforme d’échanges de données numériques, digital asset management, pour la circulation de documents lourds : dépôt de films…). Parallèlement une expression des besoins a permis de dégager les fonctionnalités d’un outil collaboratif dans ce contexte. La solution retenue consiste à s’adosser sur la solution technique utilisée pour le glossaire collaboratif multilingue, mais adaptée à notre besoin spécifique. En effet, il s’agit aussi de créer de la nouveauté, rebondir sur l’actualité, l’enrichissement des connaissances par le multimédia (les récits pouvant être illustrés…). Le format de restitution du contenu sera homogénéisé et il sera procédé à une vérification des informations et à une forme de pondération relative à l’intérêt et à la qualité de celles-ci. Un circuit de validation et de traduction partielle aura pour objectif l’accessibilité dans les quatre langues des fondamentaux des histoires des différentes composantes du groupe BNP Paribas. Enfin, en raison de l’absence de problèmes de confidentialité, le développement des outils a pu être effectué par un prestataire externe et customisé au sein du groupe BNP Paribas.

« Une expérimentation pionnière dans le domaine des banques »

Anna Grimault : Les traits caractéristiques des banques sont souvent le renouvellement des collaborateurs, des histoires disparates, marquées par de multiples fondateurs, et en ce qui concerne le groupe BNP Paribas, des noms qui n’ont pas perduré dans l’histoire. Le challenge réside dans la perspective de lier tout ça avec un outil. Dans ce projet à caractère expérimental, il faut également voir une forme de sensibilisation à l’intérêt des archives à l’intention de collaborateurs souvent très occupés dans la sphère des affaires, loin de celle des archives.

L&Co : Comment avez-vous communiqué en interne sur ce projet ?

Roger Nougaret : Au sein du groupe BNP Paribas, dans un mode projet, la communication s’effectue  au cours des comités de projets par une présentation devant les pairs ou les hiérarchiques. Cette annonce peut être reprise en conference call avec des représentants de la communication dans les territoires internationaux. L’outil collaboratif n’étant pas encore finalisé, il faut attendre qu’il y ait une masse critique de contenus à proposer pour qu’une vraie communication soit tournée vers les collaborateurs. Est à l’étude également la possibilité que l’outil soit ouvert à des associations telles que des amicales de retraités, prêtes à contribuer. C’est notre but même si cela pose des questions d’accès, l’intranet n’étant pas en totalité ouvert aux retraités ; il faut donc trouver des connecteurs. L’Association pour l’histoire de BNP Paribas a également été informée du projet et y sera bien évidemment impliquée en fournissant des contenus (par ex : biographies disponibles à mettre en ligne…). Le projet devait être finalisé fin 2011 mais comme il a pris un peu de retard technique, une version légèrement dégradée va être présentée dans un premier temps sur l’intranet pour communiquer sur le projet. Le problème c’est que nous sommes sur plusieurs projets en même temps, tel que celui de la vidéothèque historique et le traitement d’un stock de films 35mm et super 8 qu’il faut récupérer, numériser et décrire. Tous les correspondants ne sont pas encore informés du projet mais les premières réactions sont positives et certaines évoquent même le risque qu’il y ait trop de collaborations. Il est en effet difficile d’anticiper et de modéliser cet aspect « collaboratif ».

L&Co : D’une manière générale, comment la capitalisation des connaissances est-elle prise en compte au sein du groupe BNP Paribas ?

Anna Grimault / Roger Nougaret : Il a toujours existé des pôles de connaissances très orientés « métiers ». Par ailleurs, se développe également en interne le concept de « communauté » au travers de l’intranet. Mais l’intérêt de la dimension historique des archives, c’est d’apporter de la transversalité. Il s’agit pour les métiers de se réapproprier leur histoire pour capitaliser vis-à-vis de leurs clients et asseoir leur légitimité en interne comme en externe, par exemple pour des métiers anciens mais méconnus, tel le factoring, opération qui consiste à faciliter la gestion de trésorerie d’un client par des opérations de recouvrement effectuées par la banque. Mais il ne faut pas négliger la contrainte du temps nécessaire à l’appropriation de l’outil pour que les utilisateurs potentiels se sentent concernés et accompagnés dans cet usage collaboratif des connaissances.

« Aujourd’hui la banque assume elle-même la valorisation de son patrimoine»

Roger Nougaret : Le partage de connaissances est lié à l’effet « taille » du groupe BNP Paribas, qui a besoin de prendre en compte la diversité de ses composantes. Cela fait partie de la mise en exergue de la richesse du groupe. La volonté de partage existe. Les archives assurent la fonction de conservation de la mémoire et du fil de l’histoire. Les banques ne conservent généralement qu’un petit volume d’archives historiques et de façon déconcentrée (suivant les différentes législations nationales des pays des établissements). Concernant l’histoire de la BNP, lors de la création de cet établissement par une fusion de 1966, la volonté manifeste était de regarder vers l’avant et de promouvoir la nouvelle identité et la nouvelle. Ce qui relevait du passé n’intéressait pas les dirigeants de l’époque et une partie des archives a ainsi été donnée et déposée aux Archives nationales (et depuis transférée aux Archives nationales du Monde du travail à Roubaix. Aujourd’hui les choses ont changé : la banque assume elle-même la valorisation de son patrimoine. Ce qui a été donné ne peut plus être restitué, mais des propositions de numérisation peuvent être formulées. Au regard d’autres urgences, les archives déposées ne seront pas récupérées mais il faut s’occuper de ce qui est en déshérence.

L&Co : Pensez-vous que le métier d’archiviste d’entreprise évolue en regard des nouveaux outils du web 2.0 ?

Anna Grimault : J’ai connu les deux situations : avant, le département  Archives et Histoire dépendait du back office et notre mission consistait essentiellement à assurer la conservation des archives et l’accès direct des chercheurs (étudiants, universitaires, érudits) aux documents ; alors qu’aujourd’hui notre mission est de faire également de la communication, tant en interne qu’en externe et, par là-même, d’assurer la valorisation des archives. Les chercheurs ont besoin d’outils (tel que les inventaires…) pour effectuer des recherches dans les collections d’archives, mais travaillent à partir du matériau brut, tandis que les collaborateurs recherchent de l’information déjà analysée et mise en forme, exploitable rapidement. Le matériau de base reste les documents d’archives, mais les modalités de diffusion ne sont pas les mêmes.


[1] Diplômé de l’Ecole des Chartes, Roger Nougaret a exercé en qualité de conservateur en chef aux Archives de France de 1982 à 1991. L’essentiel de son parcours professionnel s’est poursuivi au sein de plusieurs établissements bancaires : en 1991, il crée le service des Archives historiques du Crédit lyonnais, en 1998 il devient responsable des archives du groupe Crédit lyonnais, en 2005 il est responsable des archives historiques du Groupe Crédit Agricole SA et depuis janvier 2011, il assure la responsabilité du département Archives et Histoire du Groupe BNP Paribas.

[2] Diplômée (2001) du  DESS Archives et Histoire de l’Université d’Angers, Anna Grimault  a successivement été responsable des archives historiques du groupe BNP Paribas, périmètre France (2002 à 2005), : responsable de projet en maîtrise d’ouvrage, périmètre back-office France (2005 à 2009), responsable adjointe service Archives et Histoire du groupe BNP Paribas (depuis 2009).

[3] BNL : Banca Nazionale del Lavoro