Cet article propose des éclairages sur le concept de capitalisation d’expérience et son inscription dans les champs de la qualité, de la gestion des connaissances et du cycle de l’apprentissage. Il présente également la diversité des finalités de la démarche. Il expose enfin les principes généraux politiques et stratégiques qui guident ce processus qualifié de systématique, dynamique, participatif, itératif et mobilisable à partir de l’expérience réelle.

Les contours d’une définition

La norme FD X 50-190 de 2000 (1) relative aux outils de management et de capitalisation d’expériences définit l’expérience comme le savoir acquis par la pratique et/ou l’observation et la capitalisation comme l’action d’accumuler volontairement et de manière organisée en vue d’un profit ultérieur.

Capitaliser l’expérience consiste à partager sa propre expérience avec autrui, avec l’intention de trouver en retour d’autres expériences qui vont, elles aussi, se donner à voir avec leurs qualités et leurs défauts. Cette démarche tente de garder la trace d’une expérience vécue afin qu’elle serve à d’autres.

La définition que nous empruntons à Pierre de Zutter, « capitaliser, c’est transformer le savoir en connaissance partageable » (2) repose sur le postulat de départ suivant le savoir appartient et se trouve auprès de ceux qui sont les acteurs de l’action et sur le présupposé suivant : le savoir des uns peut être utile pour d’autres.

La réinjection de la définition dans la pratique de capitalisation de l’expérience a permis à celle-ci d’évoluer et de s’élargir à d’autres perspectives :

  • valoriser ce que l’on sait faire pour progresser dans ses fonctions et dans sa carrière professionnelle,
  • théoriser et modéliser les savoir-faire pour ne pas les perdre,
  • transformer la connaissance tacite en connaissance explicite,
  • se donner les clefs pour préparer l’avenir.

Pourquoi capitaliser l’expérience ?

Assurer la continuité, la pérennité des actions et le capital-mémoire pour palier la perte d’expérience avec la rotation des ressources humaines ; éviter les actions en double emploi par souci d’économie d’échelle et d’efficacité, décloisonner les réseaux à des fins de mutualisation, de partage et d’échange…sont autant de besoins auxquels le processus de capitalisation d’expérience répond.

Au niveau individuel, on capitalise sur ce qui intéresse, intrigue ou émeut l’acteur lui-même, le vécu avec sa subjectivité et les processus d’évolution et d’apprentissage.

On peut relever quatre types de motivation qui témoignent de la diversité des attentes de la part des organisations ou des acteurs :

  • amélioration ou adaptation : d’une activité, d’un procédé, d’une organisation, de la relation action-réflexion par la stimulation et l’enrichissement des dynamiques d’échange entre acteurs et chercheurs à l’évolution d’une activité, d’un procédé, d’une organisation ;
  • conservation du capital-mémoire : lutter contre l’évaporation des expériences, conserver, organiser et valoriser les informations et les expériences en les rendant accessibles ;
  • promotion : préserver la notoriété des organisations et promouvoir des actions exemplaires, communiquer sur une pratique professionnelle ;
  • apprentissage : participer à la construction collective des savoirs, aider à la recomposition des savoirs/pratiques/sociétés, aider les organisations à devenir apprenantes et proposantes, aider les acteurs à s’affirmer en développant la capacité de proposition et se former par la reconnaissance et l’amélioration des processus de l’action et de l’apprentissage.

Le recours à la capitalisation d’expérience dans le monde du travail est favorisé par :

  • la nécessité d’améliorer la productivité dans les entreprises de service et donc de valoriser le capital de connaissances ;
  • le départ à la retraite d’experts obligeant à capitaliser les savoirs et savoir-faire qu’ils détiennent ;
  • les technologies de l’information et de la communication facilitant l’échange et la diffusion des connaissances.

Principes généraux politiques et stratégiques

La stratégie de la capitalisation d’expérience consiste à produire de la connaissance partageable à partir de la transformation de l’expérience en connaissance pour la mettre au service de l’action et du savoir en informations utilisables et faire vivre la mémoire institutionnelle d’une organisation.

Dans une telle perspective de reconstitution des processus d’action, la capitalisation d’expérience obéit à trois logiques :

  • d’expérience : faire vivre la mémoire de l’expérience, en tirer des enseignements pour améliorer les pratiques dans une démarche volontariste et une attitude génératrice d’innovations ;
  • de méthode : repérage, sélection, modélisation de pratiques et analyse d’une pratique au regard d’une problématique ;
  • de fonction : apprendre à partir des pratiques et partager les enseignements appris entre les différents acteurs de l’organisation et avec ses partenaires.

… dans une démarche éthique permettant de s’interroger sur le sens de ce que nous faisons et de questionner les positionnements.

Inscription dans le champ de la démarche qualité

La démarche qualité (3) désigne l’approche et l’organisation opérationnelles afin d’atteindre les objectifs fixés par la politique qualité. Dans la pratique la qualité se décline sous deux formes : externe (correspondant à la satisfaction des bénéficiaires) et interne (correspondant à l’amélioration du fonctionnement interne de l’organisation). L’objet de la qualité interne est de mettre en oeuvre des moyens permettant de décrire au mieux l’organisation, de repérer et de limiter les dysfonctionnements. La qualité interne passe généralement par une étape d’identification et de formalisation des processus internes réalisés grâce à une démarche participative. La capitalisation d’expérience participe à l’outil qualité de résolution de problème appelé « cycle en 7 étapes ou cycle WV» (4) en permettant de capitaliser le progrès et de l’intégrer dans les pratiques.

Ainsi la capitalisation d’expérience est utilisée lorsqu’une organisation se positionne dans une démarche d’amélioration continue supposant :

  • économie d’effort dans l’action, optimisation des ressources, aide à la conception, optimisation du contrôle qualité, accroissement des performances individuelles et collectives
  • qualité et cohérence en termes d’efficacité, d’efficience, de durabilité et de pertinence
  • intégration aux budgets des activités ou des projets.

Insertion dans le cadre de la gestion des connaissances

Dans le fonctionnement traditionnel d’une organisation, l’information utile (organisée) est essentiellement détenue par ses acteurs avec tous les aléas que cela peut comporter (mutation, départ à la retraite, démission, licenciement ou autres causes d’indisponibilité). Aussi il apparaît indispensable d’organiser la conservation et la diffusion de l’ensemble des connaissances à des fins de pérennisation et de partage. L’expérience étant une des sources possibles de connaissances dans une organisation, elle est logiquement intégrée dans le cycle de gestion des connaissances caractérisé par cinq fonctions : repérer, sauvegarder, actualiser, valoriser et manager. Chacune d’elles peut être interne ou externe à un acteur, formalisée ou non et résultant de l’expérience et de l’historique de l’organisation ou de travaux et réflexions communs à plusieurs organisations.

Une organisation efficace et ergonomique de la mémoire et du savoir permet ainsi à l’homme d’exercer sa connaissance. C’est pourquoi la chaîne de l’information dotée de l’ensemble de ses caractéristiques (fiabilité, performance, traçabilité, authenticité…) doit prendre en compte ces trois espaces : de la mémoire, du savoir et des connaissances. La capitalisation d’expérience se situe à la croisée de ces espaces en créant des passerelles entre organisation de la mémoire, diffusion du savoir et partage des connaissances.

Au cœur du cycle d’apprentissage

La capitalisation s’inscrit dans un cycle d’apprentissage, en opérant un véritable travail de maïeutique qui contribue à l’innovation et à la valorisation des apports de l’apprentissage expérientiel. Un des enjeux de la capitalisation d’expérience réside bien dans le développement d’une organisation apprenante en capacité de constituer et de mettre en partage un capital-mémoire.

Ce dernier est constitué d’un capital méthodologique (fruit des multiples apprentissages et des apports d’une organisation et de ses partenaires, centré sur les outils et méthodes d’intelligence et d’action collectives) et d’un capital intellectuel (constitué de tous les apports dont a bénéficié une organisation, fait d’histoires concrètes, d’analyses et de propositions).

De l’acteur d’expériences à l’auteur de connaissances

La formalisation des leçons de l’expérience est un des moyens de mise à jour d’un potentiel, d’un capital d’informations et de compétences. Dans cette démarche, le savoir (archives des récits, des enquêtes, des entretiens…) est considéré comme une ressource facilitant de nouvelles interprétations et de nouvelles connaissances. L’information est ainsi considérée comme un outil de changement collectif (technique, managérial ou institutionnel). En effet, à l’image du mode de travail collaboratif, la mise en débat, la validation par les pairs et le partage des connaissances sont des éléments de garantie de qualité des actions entreprises.

Cette construction collective des savoirs et savoir faire implique :

  • la participation pour apporter ce qui peut être utile à un processus partagé ;
  • la confrontation des visions et des vécus différents pour accroître la palette des éclairages, des réflexions et des parcours ;
  • la mise en circulation de savoirs non propriétaires favorisée par les outils d’information et de communication qui renforcent les processus de partage horizontaux ;
  • la prise de recul ou distanciation de l’action pour une meilleure mise en perspective d’une expérience par rapport à une problématique, un questionnement ou un enjeu ;
  • un exercice d’introspection pour s’interroger sur les pratiques, remettre en cause, adapter et tirer des enseignements.

Une organisation est généralement une constellation de communautés de pratiques interconnectées les unes aux autres qui débordent généralement de ses frontières formelles et qui exige des relations entre ses membres. Il est donc indispensable de s’intéresser à la manière dont les individus interprètent ou donnent sens à leurs expériences. La capitalisation d’expérience propose de renforcer le processus d’apprentissage conscient et intentionné au sein d’une organisation. Elle constitue une sorte de levier pour un mode de management qui reconnaisse que chaque membre d’une organisation est dépositaire d’une certaine connaissance qui par un processus d’extériorisation rend possible non seulement le passage de la connaissance tacite à l’explicite mais également la production de la connaissance partageable.

Sabine Didier, Limonade & Co


(1) Agence Française de Normalisation, Norme FD X50-190 – Outils de management – Capitalisation d’expérience, Editions AFNOR, Paris, septembre 2000.

(2) Pierre de Zutter, Des histoires, des savoirs, des hommes : l’expérience est un capital, FPH, Paris, 1994, p. 36.

(3) La qualité est définie par les normes ISO 8402-94 « Ensemble des caractéristiques d’une entité qui lui confèrent l’aptitude à satisfaire des besoins exprimés et implicites » et ISO 9000:2000 « Aptitude d’un ensemble de caractéristiques intrinsèques à satisfaire des exigences ».

(4) S. Hassanaly, A. Marconnet, S. Bardy, La Capitalisation des Bonnes Pratiques. Projet d’Intégration Master Management de la Qualité (MQ), UTC, 2005-2006, p.